Troy Baker est l’un des doubleurs les plus connus du jeu vidéo avec des rôles cultes tels que Joel (The Last of Us), Vincent Brooks (Catherine), Sam (Uncharted 4), Talion (Shadow of Mordor), etc.
En plus de reprendre le rôle de Talion dans Shadow of War (L’ombre de la Guerre), la suite de Shadow of Mordor (L’Ombre du Mordor) toujours développé par les studios Monolith, il y endosse en plus le rôle de Réalisateur de la Motion Capture.
Nous avons profité d’une interview exclusive lors du dernier E3 pour lui poser quelques questions sur ces différents métiers et son apport à la licence Shadow of Mordor / Shadow of War…
Couple of Pixels : Vous êtes connu dans l’industrie du jeu vidéo en tant qu’acteur de doublage : comment en êtes-vous arrivé là ?
Troy Baker : Je pense que j’ai été incroyablement chanceux (rires). Ce qui m’a avantagé, c’est qu’avant tout je suis un gamer. Je joue quasiment depuis que je sais parler. Donc avoir été capable de transformer ma passion en carrière est une chance folle. Et pouvoir à présent passer d’acteur à réalisateur dans ce jeu (NDLR : Dans Shadow of Wars, Troy Baker double Talion mais est aussi réalisateur de la motion capture) représente l’étape suivante pour moi. Je suis reconnaissant à Monolith de m’avoir donné cette chance. Franchement, je me sens fortuné d’avoir eu l’opportunité de jouer des personnages incroyables dans des titres sensationnels.
Couple of Pixels : Comment vous préparez-vous à incarner un personnage ?
Troy Baker : Dans Shadow of War, Le Seigneur des Anneaux est une source si riche que personne ne peut prétendre ne pas connaître cet univers. Nous tous qui travaillons à créer cette expérience nous pouvons puiser dans ce folklore immense. Quant à moi, j’avais deux jobs. En premier lieu, je devais me préparer en tant que Talion, comprendre où il en était, et en second lieu, je devais me préparer en tant que Réalisateur.
Je me suis d’abord préparé en tant que réalisateur pour comprendre ce que nous cherchions à accomplir en termes de narration dans ce titre et comment chaque personnage s’imbriquait dans l’histoire. Mon rôle de réalisateur m’a amené à travailler quelques jours avec les équipes de Monolith à analyser chaque morceau, chaque réplique des scènes que nous devions tourner. Nous en discutions assez vigoureusement parfois puis nous nous calmions et nous mettions à tourner.
Grace à tout ça, en tant qu’acteur, je savais comment Talion allait s’intégrer. Nous avons travaillé si durement dans le premier jeu à construire le personnage de Talion que nous ne désirions rien jeter de tout ça. Son personnage est devenu un des canons du Seigneurs des anneaux : il fait partie de cet univers et à présent on peut le développer, tout comme nous avons développé le système de Némésis ou notre monde ouvert. Une des façons dont nous l’avons fait est en explorant la relation entre Talion et Celebrimbor, comment ils fonctionnent ensemble du point de vue de l’histoire mais aussi du gameplay. Nous sommes dans un univers en pleine expansion… Mais ma préparation dépendait vraiment de quelle casquette je devais porter.
Couple of Pixels : Et comment gérer-vous le fait de porter ces deux casquettes ?
Troy Baker : J’apprends encore ! (rires) A certains moments, j’ai vraiment beaucoup de chance d’être entouré par une excellente équipe qui me soutient. A Monolith, nous voulons juste vraiment faire un bon jeu, créer une expérience à laquelle nous, en tant que joueurs, avons envie de jouer et qui enthousiasme les autres joueurs.
Je me suis beaucoup reposé sur mon équipe cinématique avec Nick Hendrickson et Ethan Walker et notre scénariste Tony Elias pour me garder concentrer sur l’objectif et aboutir à notre vision commune, ce à quoi il fallait que cela ressemble et voir comment exécuter cela sur le plateau de tournage.
Couple of Pixels : La Motion Capture joue un rôle important dans le jeu vidéo aujourd’hui : comment cela influence-t-il vos deux casquettes ?
Troy Baker : Je ne pense pas que tout cela serait possible dans le monde traditionnel de la télévision ou du cinéma. Ben Affleck a joué et réalisé des films, j’ai un très grand respect pour lui car c’est vraiment dur de faire les deux.
Ce que j’adore avec le processus de Performance Capture, et vraiment Monolith est à la pointe de cette technologie, c’est qu’on arrive sur un studio qui est complètement vierge. On construit notre plateau, nos accessoires, notre décor. Les costumes que les acteurs portent n’ont rien à voir avec ceux qu’ils porteront dans le jeu, je ne ressemble absolument pas à Talion.
Mais dans ce monde et pour des gens comme moi qui aimons incarner ces personnages, cela représente une incroyable opportunité car je ne pourrais jamais jouer Talion dans un film ! Mais je peux l’incarner ici et avoir cette liberté en tant qu’acteur vous force à vous concentrer sur ce que l’on sait vraiment de ce personnage.
On ne tourne pas dans un studio mais dans le Mordor. On dirige nos acteurs à travers la scène : Talion arrive par ici, on va voir Celebrimbor là et Talion va sauter de cette hauteur et atterrir ici. Il s’agit vraiment d’être capable d’utiliser son imagination. Mon épouse appelle cela « Stage on Film » car c’est comme se trouver dans un théâtre.
Couple of Pixels : C’est la deuxième fois que vous incarnez Talion, comment le définiriez-vous ?
Troy Baker : Je crois que nos actions nous définissent et l’une des caractéristiques au sujet de Talion est que l’on peut vraiment choisir qui est Talion. A la fin du jeu précédent, on est assez réticent à l’idée d’assembler une armée d’orcs et maintenant, c’est le sujet de cette suite.
Pour moi, dans ce monde, les humains et les orcs ne sont pas des alliés, cela requiert d’abandonner une part de notre humanité. Talion est pris entre deux mondes non seulement car il est le « gravewalker » mais aussi parce qu’il se bat pour garder son humanité. L’esprit d’un elfe possède son corps et il lutte contre lui mais s’en sert en même temps. Donc selon moi, la façon dont on joue détermine qui est Talion et il n’y a pas beaucoup de jeux qui vous donnent cette opportunité.
Couple of Pixels : J’ai beaucoup joué au premier jeu et j’aimais jouer de façon furtive. Shadow of War semble faire la part belle à la construction d’une armée : sera-t-il quand même possible d’utiliser une approche furtive ?
Troy Baker : Je pense que nous jouons, tous deux, de façon très similaire. Je me rappelle de la première fois où j’ai pénétré dans une forteresse et j’ai entendu ce « Humhum » des cors et où tout le monde a commencé à se jeter sur moi. J’ai fait de mon mieux pour combattre mais j’ai fini par envoyer un sms à Monolith pour leur dire « Je n’arrête pas de mourir, qu’est-ce que je dois faire ? » et ils m’ont répondu « Tu t’enfuis jusqu’à ce que tu arrives au moment où tu peux monter de niveau ».
Donc ma façon de jouer en furtif à évolué en fonction de ma montée en puissance jusqu’au point où j’entrais en fanfare dans la forteresse et priait pour que tout le monde se jette sur moi. Nous ne voulons absolument pas changer la façon dont vous jouez : Shadow of War repose sur la façon dont vous, le joueur, façonnez votre expérience. Nous mettons à votre disposition ce canevas et c’est à vous de voir comment vous allez jouer, qui vous allez recruter dans votre armée, comment vous allez les utiliser. Vous voulez être furtif, soyez furtif !
Couple of Pixels : Comment vous réinvestissez-vous d’un personnage que vous n’avez pas incarné pendant longtemps, comme Talion ici ou Joel dans The Last of Us ?
Troy Baker : Le processus est assez simple. Si nous deux nous sommes de très bons amis et que je ne vous ai pas vu pendant 2 ans, à l’instant même où je vous vois, je vous reconnais et on recommence exactement au dernier moment où nous nous sommes vus. C’est la même chose avec de bons personnages. Cependant, il faut un bon personnage : je n’arriverai pas à me connecter aussi bien à un mauvais personnage.
Il faut que je comprenne qui ce personnage est vraiment, je dois pouvoir créer un lien de familiarité avec lui. Le moment où Talion perd sa famille crée ce lien pour moi. Talion se tient d’une façon particulière qui me vient de ce lien : lorsque je saisis mon épée –nous avons des armes comme des épées longues que nous utilisons pour le tournage– que je la tournoie dans les airs puis la rengaine dans le fourreau sur mon dos, l’impression d’être Talion m’envahit peu à peu. Mais pour moi, le plus important c’est de comprendre qui Talion est vraiment, pas seulement dans Shadow of Mordor mais aussi dans Shadow of War.
Couple of Pixels : Comment gérez-vous la confidentialité qui plane autour d’un projet qui doit rester secret pendant bien longtemps alors que vous êtes au courant ?
Troy Baker : C’est difficile, c’est la partie la plus difficile du projet : être tellement fier de quelque chose dont on ne peut pas parler. Même aujourd’hui, je dois m’assurer de ne pas dire quelque chose que nous n’avons pas encore dévoilé, car même si nous avons dévoilé beaucoup d’éléments, il en reste plein qui ne l’ont pas été. Et lorsque vous en saurez plus sur le jeu, des petits détails deviendront des révélations à vous en décrocher la mâchoire.
Mais il faudra attendre le 10 octobre (NDLR : la date de sortie du jeu) et jusque-là, c’est tellement dur ! C’est comme regarder son enfant avoir son diplôme ou participer aux jeux olympiques et ne pas pouvoir en parler. C’est un vrai défi pour moi car je suis si fier de ce jeu, de cette équipe, de ce que nous avons accompli mais je dois attendre le 10 octobre.
Couple of Pixels : C’est la première fois que vous endossez le rôle de réalisateur de la Motion Capture. Est-ce Warner qui vous a proposé ce job ?
Troy Baker : Juste après les Dice Awards, j’ai rencontré Michael De Plater, le directeur créatif du jeu, tenant tous ces trophées et me criant « C’est un succès ! ». Il m’a dit qu’on allait en faire une suite et je lui ai répondu « Frère, tout ce que tu veux que je fasse, je le ferai ».
D’habitude, je ne suis pas trop du genre à participer à des franchises : je ne reviens jamais. C’est donc vraiment la première fois pour moi : j’ai participé à beaucoup de jeux différentes mais je ne suis jamais revenu dans une suite. C’était donc très important pour moi.
Je suis allée à Seattle (NDLR : le siège des Studios Monolith) et De Plater a commencé à me présenter le jeu, la façon dont il allait le faire évoluer et, durant cette conversation, c’est venu naturellement qu’il pouvait y avoir une place pour moi en tant que réalisateur pour les aider à mettre en œuvre cette vision avec les autres acteurs.
Ce n’était vraiment pas prévu, c’est arrivé un peu comme ça : « Pourquoi tu ne ferais pas ça ? » et moi : « Absolument, je peux le faire ! » Et lorsque j’y repense, je me dis que c’était un sacré job que j’ai adoré. Je suis fier qu’ils m’aient fait confiance et je le referai sans hésiter.
Couple of Pixels : Comment avez-vous appris à maîtriser cette nouvelle casquette ? Avez-vous utilisé votre expérience en tant qu’acteur ?
Troy Baker : Il faut poser des tas de questions. J’ai également eu la chance de travailler avec des réalisateurs incroyablement talentueux. Neil Druckmann (The Last of Us, Uncharted 4) par exemple m’a énormément appris.
Mais en fait, 90% du processus vient du casting. Lorsqu’on a les bonnes personnes, cela rend le travail beaucoup plus facile. Et en cas de problème, j’avais une excellente équipe à mes côtés.
Couple of Pixels : Et en dehors de tout ceci, avez-vous d’autres activités ?
Troy Baker : Oui bien entendu ! J’ai la chance de pouvoir en parler, cool ! Avant que tout ceci ne devienne une réalité, j’étais musicien. Je pensais que c’était comme ça que j’allais laisser mon empreinte sur Terre. Ce n’est pas ce que la vie m’a réservé mais j’ai maintenant la chance de pouvoir m’y atteler également et je viens juste de terminer un album. Le projet s’intitule « Window to the Abbey » et le premier album devrait être disponible à la précommande.
Couple of Pixels : Et maintenant que vous touchez aussi à différentes branches du jeu vidéo, pourquoi ne pas travailler sur la bande originale d’un jeu ?
Troy Baker : Tout à fait (rires). C’est la prochaine étape. Si je peux l’écrire, le réaliser, jouer dedans, je deviendrais l’Orson Welles du jeu vidéo ! (rires)
Qui Sait ? Je pense que je ferais plutôt du Johnny Maar pour un jeu vidéo.
Couple of Pixels : Quel était votre premier rôle dans un jeu vidéo et maintenant que vous avez toute cette expérience, comment le jugez-vous ?
Troy Baker : Le premier jeu que j’ai doublé était « Brothers in Arms » et même aujourd’hui, cela reste un de mes personnages préférés et le jeu contient l’un de mes moments cinématographiques préférés dans un jeu vidéo.
Je reste fier de ce titre alors qu’il y a pas mal de rôles dont je ne suis pas très fier. On a tous des jobs que l’on doit faire, certains sont bons, d’autres mauvais. Mais je veux dire cela : chaque opportunité que j’ai eu dans le monde du jeu vidéo m’a appris quelque chose et je ne voudrais échanger ça pour rien au monde car toutes ces expériences, bonnes ou mauvaises, ont mené à cet instant, à être assis à cette table avec vous pour parler de ce jeu formidable.
Couple of Pixels : Dernière question : quel est le personnage le plus bizarre que vous ayez incarné ?
Troy Baker : (Silence) Woaw, c’est une bonne question !
(Long Silence) Vous savez, il y avait ce jeu appelé « Brothers in Arms »… (Rires)
Le personnage le plus bizarre que j’ai jamais incarné ? C’est un terme très subjectif car on pourrait dire que le Joker est un personnage très bizarre… (Silence)
Je pense que les fans vont dire que ce sera mon personnage de Disgaea… C’était comment encore le nom de ce personnage ? Parce que j’aimais les sardines et que je n’arrêtais pas de dire aux gens d’aller se faire voir (« Go to Hell » en VO). Mais pourquoi je n’arrive pas à me rappeler de son nom ? Je pense tellement à Shadow of War que je n’arrive pas à me rappeler du nom de ce personnage.
Vous n’enregistrez pas ça, hein, on est d’accord ? (rires)
(après encore quelques réflexions)
Valvatorez !
Donc, reprenons… Quand je jouais Valvatorez dans Disgaea 4 – ça m’est revenu tellement vite !- (rires) .
Ce que je trouve intéressant c’est que les joueurs ont adoré un comportement que je trouvais complètement bizarre. Et je veux toujours jouer des personnages avec lesquels les gens se sentent connectés. Tout comme avec Talion : je suis fier de lui, j’aime ce type ! Je ne veux pas que les gens l’aiment mais qu’ils se lient à lui car en définitive, ils vont passer des heures à l’incarner.
Couple of Pixels : Merci
Pour lire notre preview de Shadow of War (L’ombre de la Guerre), c’est ici.
Shadow of War (l’Ombre de la Guerre) sort sur PS4, Xbox One et PC le 10 Octobre 2017.